Pianiste compositeur, lorsque vous avez composé ce premier concerto pour piano, avez-vous pensé à vous ?
Je n'ai pas écrit ce concerto pour moi, mais il est vrai que cette partition est une sorte de condensé de mon rapport à l'instrument. J'espère néanmoins ne pas le garder pour moi seul, que l'oeuvre va rapidement vivre sa vie, l'avenir d'un concerto étant d'être joué et de plaire aux pianistes, sinon il n'a pas tellement d'intérêt. Mais je prends beaucoup de plaisir à le jouer moi-même.
Qu'est-ce qui vous a attiré vers le genre concertant ?
Mozart !... (rires). C'est une forme qui m'est familière puisque que je la pratique depuis que je suis enfant, en tant que pianiste. La forme concertante est encore très actuelle. Cette forme plaît au public parce qu'en général elle est plus facile à suivre qu'une structure symphonique pure, et comme je milite pour que la musique d'aujourd'hui soit plus accessible et que je me donne beaucoup de mal pour cela, j'ai trouvé que le concerto est une forme qu'il me fallait aborder. La forme concerto est géniale, elle est toujours aussi puissante, valide, il n'y a pas grand chose à changer, et j'avais envie de me confronter à une forme extrêmement codée. Il ne s'agit pas de clin d'oeil, ce n'est pas non plus un exercice de style, mais j'ai dû me retrouver dans la situation d'Aragon écrivant des alexandrins...
Pourquoi voulez-vous que la musique soit plus accessible ? Ne l'était-elle plus du tout ? Est-ce parce que l'écoute demande à votre avis trop d'efforts ? Qu'est-ce que veut signifie "rendre la musique plus accessible "? Serait-ce faire du Johnny Halliday ? Une musique sortant des sentiers battus ne demande-t-elle pas forcément un effort de la part de l'auditeur ?
Oui, bien sûr. Mais il y a manière et manière. Je pense que les compositeurs de la génération qui a précédé la mienne sont allés beaucoup trop loin, aux limites de la communication. L'une des responsabilités du musicien créateur est de faire entendre de la musique et d'assumer le fait de travailler pour le public. Il ne s'agit pas de faire de la pédagogie ni du Johnny Halliday. Evidemment, je n'écris pas des chansons, c'est clair, entre une chanson qui a un succès populaire potentiel très important et une oeuvre de musique écrite, comme la mienne, il y a une marge. Mais il n'est pas obligatoire, pour faire de la musique intéressante, d'être incompréhensible. Aujourd'hui nous sommes dans une période assez proche de celle de la Renaissance. Du point de vue musical, j'ai en effet le sentiment que l'on sort du Moyen-Age, qu'après une période très sombre et très intérieure de calculs qui n'étaient pas forcément inintéressants, que l'on débouche sur une époque comparable à celle qui va du Moyen-Age vers la Renaissance puis le pré-baroque. Les compositeurs menaient alors une réflexion qui consistait à se dire, je vais avoir le courage de cacher la complexité , et je trouve cette stratégie intéressante. Mais nous avons beau faire, la musique d'aujourd'hui auprès du grand public des concerts symphoniques a toujours une image repoussante.
Vous avez pourtant autant de mal à vous imposer auprès du grand public que ceux qui écrivent des oeuvres plus ou moins alambiquées !
Oui, c'est ce qui est fou, hein ! Ce qui démontre que ce n'est pas, de ma part, entreprise démagogique. J'ai effectivement expérimenté cette situation depuis longtemps, c'est pourquoi je crois à une sorte de fatalité sur la création qui est assez incroyable. Il me semble que ( mais cela va peut-être changer ) il y a une sorte d'habitude qui fait que la création n'est pas jugée pour elle-même. Les oeuvres ne sont jamais jugées pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire réussies ou ratées, leur fonction est la même, ce qui est extrêmement pénible, voire insupportable. Il n'y a que dans la musique que l'on rencontre pareille situation.
Pourquoi avoir attribué un titre à votre concerto, Echo de Narcisse, plutôt que lui avoir laissé le nom générique de Concerto ?
Je trouve que c'est un beau titre, non ? (Rires). J'aime donner des titres à mes oeuvres parce que j'estime que cela fait aussi partie de ce souci de rendre les oeuvres plus proches de l'intérêt d'autrui, et je trouve que les titres sont comme une porte ouverte, laissant l'imaginaire travailler et permettant une relation sans doute plus directe que Concerto n° 1 ou Quatuor n° 4. Mais il y a aussi des titres complètement abscons, ce qui est un autre débat.
Narcisse, est-ce vous ?
C'est le piano ! Le piano se reflète dans l'orchestre, voilà l'idée. Ce n'est pas un combat romantique, la lutte d'un individu contre la société, contrairement aux concertos de Beethoven par exemple, ce n'est pas non plus comme chez Mozart l'instrumentiste qui est au fond de l'orchestre pour le continuo et qui tout à coup vient sur le devant de la scène. C'est ouvertement une relation un peu osmotique en fait, et l'orchestre est l'écho du piano.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour écrire ce premier concerto ?
Je crois que cela tient au fait que j'aie joué beaucoup de musique improvisée, et que j'avais un peu de scrupule ou une certaine circonspection à écrire de la musique pour piano. Ce concerto a d'ailleurs été le déclencheur de tout un travail qui consiste maintenant à écrire des pièces pour piano. J'ai comme brisé le miroir.
L'improvisation serait donc un danger ?
Pas forcément, parce que c'est formidable à vivre, mais c'est vrai que la créativité que cela implique n'est pas la même que celle de l'écriture. Ces deux mondes sont totalement antagoniques.
La cadence de votre concerto, l'avez-vous écrite ou la laissez-vous à l'improvisation ?
J'en ai écrit une version, mais je pense que je vais l'improviser, si le chef est d'accord. (rires.) Lors de la création, je suis parti du texte écrit, puis j'ai commencé à improviser. Ce fut formidable parce que, soudain, le geste du chef est resté suspendu. Je ne l'avais pas prévenu. J'ai aimé ce moment, qui était très excitant.
Le rire de Narcisse !...
Quelque chose comme cela, c'était un moment assez théâtral et magique. Il y avait le danger, le fait de me retrouver comme un funambule se disant " bon il faut que j'aille de l'autre côté, je suis sur le fil, ouaouh c'est bien..".
Vous semblez rechercher dans cette oeuvre une expressivité néoromantique...
Je me sens plutôt proche d"une certaine musique française. Mais je ne suis pas loin non plus de la musique américaine. En fait, il y a un mélange des deux univers dans ma musique, qui est ainsi peut-être franco-américaine. Côté français je pense à Ravel, je suis un "fan"de Ravel. J'ai joué et enregistré ses Valses nobles et sentimentales dès l'âge de douze ans. Il s'y trouve aussi beaucoup de jazz dedans, que j'ai plus ou moins caché (rires).
Votre concerto alterne les mouvements vif-lent-vif.
Le premier mouvement alterne lui-même moments vifs et lents. Ce premier mouvement est une forme sonate très rigoureuse avec thème et contre-thème. Son écriture est clairement dramatique, mais il n'y a pas de programme préétabli. Je suis cependant un narrateur, pas un formaliste. Pour moi, la musique c'est la parole, le piano est quelque chose qui parle. C'est plus important que la forme elle-même.
Recueilli par Bruno Serrou
Paris, le 28 février 2000